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On comprend qu’avec de telles chances de succès, une jeune fille aime le monde. Aussi Jane ne manquait aucun des bals qui se donnaient tous les mois dans la grande salle publique de Basingstoke, et où toutes les familles aisées du voisinage étaient invitées. Il fallait supporter le pénible trajet de Steventon à la ville, par les froides nuits d’hiver, le long des routes noires, défoncées et boueuses, et le retour surtout devait paraître interminable. Mais cela comptait peu pour l’intrépide danseuse qu’elle était, et pourvu qu’elle eut le bonheur de rencontrer des cavaliers sachant observer la mesure, point sur lequel elle était très difficile, elle ne songeait, en revenant au Rectory, qu’au plaisir du bal suivant, ou riait en elle-même à la pensée de tel détail amusant, qu’elle conterait dans sa lettre du lendemain à Cassandra souvent absente.

C’était en effet les incidents du bal qui, pendant tout un mois, allaient alimenter la conversation dans l’isolement des résidences de campagne. C’était là que se développaient les flirts, que s’ébauchaient les mariages, et la lutte pour les préséances y prenait parfois des proportions bouffonnes. Chacun y avait son rang bien déterminé suivant sa position sociale, et certaines danses et certaines figures étaient strictement réservées aux personnes les plus notables de l’assemblée. Celles-ci ne brillaient pas toujours par leur distinction ou leurs connaissances ; et un riche propriétaire ne craignait pas de demander tout haut à Mr. Austen : « Vous qui connaissez toutes ces affaires-là, dites nous donc si c’est Paris qui est en France ou la France qui est dans Paris ? Ma femme et moi nous ne sommes pas d’accord là-dessus [1]. » Ces réunions mensuelles du « tout Basingstoke » devaient offrir maints sujets de rire intérieurement à la malicieuse fille du recteur.

  1. A memoir of Jane Austen, by J. E. Austen-Leigh.