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Lorsque, dans Récits d’une grand’mère, Mr. Arnold Bennet nous peint si méticuleusement les gestes, les habitudes, les préjugés, les joies mesurées et les émotions pleines de réserve des commerçants d’une petite ville industrielle, il prend comme modèle les livres de Jane Austen ; et, dans un interview rapporté par le London Magazine, il confesse qu’il voulait faire pour les usiniers et les commerçants des « Cinq Villes » « ce que Zola avait fait pour Paris, Hardy pour Wessex et Jane Austen pour la haute bourgeoisie provinciale au commencement du xixe siècle. »

D’ailleurs, parmi les critiques d’aujourd’hui, c’est un crescendo de louanges qui parfois les entraîne à parler sans mesure du plus mesuré des romanciers anglais. Mr. Gosse proclame en termes dithyrambiques « son impeccabilité » « son omniscience » « son art absolu que nous prenons pour la nature elle-même »[1]. Mr. Saintsbury débordant d’enthousiasme s’écrie : « Nous retrouverons un autre Homère avant de revoir une autre Jane Austen[2]. »

Ce n’est même plus de l’engouement, c’est une adoration, un culte pour l’incomparable Jane qui s’est lentement constitué au cours du xixe siècle dans les milieux littéraires anglais. Déjà Macaulay et sa sœur s’étaient exercés à parler avec des phrases empruntées aux livres de Miss Austen, stupéfiant ainsi leurs amis par la curieuse tournure de leur conversation. Aujourd’hui, toute une confrérie d’admirateurs connaissent par cœur les phrases de leur idole, et se les récitent comme des versets de livres saints. Ils se donnent le nom d’Austénites ou d’Austéniens ; et le nombre des fidèles augmente sans cesse, comprend les plus grands noms de l’Angleterre. C’est Tennyson, qui, visitant Lyme, refuse de voir la place

  1. Histoire de la littérature anglaise (traduction française).
  2. A History of nineteenth century literature.