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la Forêt Noire, la Cloche de minuit, L’Orphelin du Rhin, Horribles mystères. Nous en avons pour quelque temps ! »

— « Oui, certainement ; mais sont-ils tous horribles ? Êtes-vous bien sûre qu’ils sont tous horribles ? »

— « Oui, tout à fait sûre. Une de mes bonnes amies, Miss Andrew, une charmante jeune fille, l’une des plus douces créatures du monde, les a tous lus ».

Le soir, après avoir fermé le livre terrifiant, l’impressionnable Catherine Morland restera de longues heures sans pouvoir s’endormir, tremblante au moindre bruit qui résonne dans le silence de la nuit, croyant entendre un bandit remuer sous son lit, n’osant ni bouger, ni fermer les yeux, ni éteindre sa lumière. C’est une véritable angoisse, mais elle adore cela ; et des milliers de femmes et beaucoup d’hommes partagent son amour du petit frisson qui glace si délicieusement en face des dangers qu’on sait imaginaires.

Le livre a bien éveillé une émotion comme c’est le but de tout roman, et même presque une souffrance ; mais c’est une émotion d’ordre inférieure, où l’art de l’écrivain et la subtilité de l’observateur ne jouent aucun rôle. Nul sentiment n’y est analysé en dehors de la peur, et même celle-ci ne nous est représentée que sous ses formes les plus grossières. Cela a suffit cependant pour attirer aux livres de Mrs. Radcliffe et de Lewis une foule de lecteurs, même parmi la meilleure société, celle qui se pique d’intellectualité.

Un groupe de romanciers, « les Révolutionnistes », tentèrent bien d’acclimater des œuvres de fiction réalistes et philosophiques ; mais, plus préoccupés de répandre leurs idées que de faire œuvre d’art, dépourvus de talent, ils ne produisirent que des romans touffus et ennuyeux, trop médiocres pour ramener le public à une littérature plus saine.

Une jeune femme avait donné des ouvrages plus fidèles à la réalité, plus conformes à l’idéal Richardson et de