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trop sévère sur des fautes qu’aurait prévenues une meilleure éducation, dans des conditions moins déprimantes.

Mais elle est d’une nature calme et ne songe pas à bouleverser la société pour améliorer le sort des pauvres ; elle croit que « la compassion a fait tout ce qui est vraiment nécessaire quand elle s’est efforcée d’apporter un soulagement à ceux qui souffrent. Si notre pitié pour les malheureux est assez grande pour nous faire faire tout ce que nous pouvons pour eux, le reste n’est qu’une sympathie vide qui ne sert qu’à nous tourmenter nous-mêmes [1] ».

Les meilleurs de ses gentlemen et de ses ladies raisonnent comme Emma. Ils n’aiment pas beaucoup les sujets susceptibles de troubler leur quiétude de gens bien rentés, et ils les écartent de la conversation en se disant probablement : « il y a toujours eu des pauvres et il y en aura toujours ; aidons-les, mais ne discutons pas l’organisation sociale, cela ne leur porterait aucun profit, et cela dérangerait notre digestion ».

Cependant, dans son avant dernier roman, Jane Austen met tout à coup un violent cri de révolte dans la bouche de l’une de ses plus sympathiques héroïnes. Jane Fairfax, orpheline pauvre, élevée dans le luxe par des amis bienveillants, cherche une place de gouvernante, et elle dit à Mrs. Elton « Je ne crains pas d’être sans place. Il y a des endroits dans la ville, des bureaux dans lesquels on peut rapidement trouver quelque chose, des bureaux pour la vente, non de la chair humaine, mais de l’intelligence humaine ». Mrs. Elton y voit une allusion contre un de ses parents au sujet de la traite des noirs, et proteste contre l’expression de chair humaine ». Jane Fairfax reprend : « Je ne pensais pas à la traite des noirs; je n’avais en vue que la traite des gouvernantes, certainement très différente

  1. Emma.