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sécheresse de cœur, car elle sait trouver des accents délicieusement tendres pour nous peindre l’amour de Fanny Price ou d’Anne Elliot ; mais elle ne peut s’empêcher de voir ce qu’il y a de calcul inconscient au fond de nos meilleurs sentiments et le grotesque qui se mêle toujours aux situations les plus pathétiques. Elle n’est pas dupe de son enthousiasme et de sa sensibilité, et par dessus tout, elle aime à rire et à se moquer. Elle l’a dit dans sa lettre au bibliothécaire royal, elle ne pourrait s’empêcher de rire des autres et d’elle-même, dut-elle être pendue pour cela. Et son Elisabeth Bennet confesse : « J’espère ne jamais me moquer de ce qui est bon et sage ; mais le ridicule et la stupidité, les manies et l’inconséquence, me divertissent, je l’avoue, et j’en ris chaque fois que j’en ai l’occasion. »

Elle adore tant la raillerie que parfois le lecteur se trompe sur ses véritables sentiments. À part Sir Thomas Bertram, il n’y a pas un père ou une mère de ses personnages principaux qu’elle ne dépeigne comme niais, gâteux, négligent ou méchant. Elle paraît n’avoir guère plus que Molière le sens du respect filial et elle termine l’Abbaye de Northanger par cette réflexion peu morale : « Je laisse à décider à ceux que cela peut intéresser, si cet ouvrage tend à recommander la tyrannie paternelle ou à encourager la désobéissance des enfants. » Et pourtant, sa correspondance et les récits de ses neveux et nièces nous la montrent fort attachée aux devoirs familiaux, pleine d’estime pour son père, très prévenante pour sa vieille mère.

En général, elle traite assez durement son sexe et s’étend avec plaisir sur ses faiblesses ; elle étale complaisamment la perfidie, la coquetterie, la légèreté d’esprit, l’ineptie des bavardages, toutes les défectuosités du caractère féminin. Mais à l’occasion elle sait aussi le défendre et opposer ses vertus aux qualités masculines. Elle accorde aux femmes la sensibilité, le dévouement, la