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ranquille, après avoir reconnu que son caractère, ses qualités intellectuelles et morales, en feront un parfait partenaire dans la vie. Jane Austen ne veut pas qu’elles prennent l’amour au tragique, mais qu’elles traitent le mariage sérieusement. Elle était évidemment une petite personne pratique, à l’esprit bien équilibré. Elle trouve qu’il faut un peu de sentiment, mais pas trop ; que la fortune n’est pas la seule qualité à rechercher chez un fiancé, mais qu’il ne faut pas la dédaigner non plus. Elle a pour les filles de son cerveau, les mêmes ambitions qu’une honnête mère bourgeoise a pour ses enfants.

Ces amours flegmatiques faisaient bondir l’impétueuse Charlotte Brontë, qui s’écriait : « Elle ne froisse son lecteur par rien de véhément, ne le trouble par rien de profond. La passion lui est parfaitement inconnue, et elle rejette la moindre familiarité avec cette sœur tempétueuse. Elle ne témoigne même aux sentiments qu’une gracieuse, mais distante et passagère attention ; une fréquentation trop assidue troublerait la douce élégance de son développement. Elle s’intéresse beaucoup moins au cœur humain qu’aux yeux, à la bouche, aux mains et aux pieds. Tout ce qui regarde nettement, parle correctement, se meut souplement, convient à son étude ; mais les douleurs cachées aux rapides et profonds sanglots, tout ce qui a un sang qui bout, tout ce qui est le siège invisible de la vie et son point mortellement vulnérable, tout cela Miss Austen l’ignore » [1].

La critique est fort exagérée. Jane Austen, au contraire, prête grande attention aux sentiments, et elle s’intéresse beaucoup au cœur humain ; elle ne s’intéresse même qu’à cela. Mais elle y apporte la curiosité lucide et tranquille d’un esprit que n’a pas surexcité la lecture de Byron et des écrivains romantiques. Ce n’est pas

  1. Charlotte Brontë’s letters.