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Ce style haché ne rend-il pas exactement le bourdonnement confus, où se distinguent quelques lambeaux de phrases, d’une joyeuse société qui s’amuse à jouer aux jardiniers.

Si nous examinons le détail de la phrase de Jane Austen, nous voyons qu’elle s’harmonise avec l’ensemble de l’œuvre. Aussi bien dans le langage des personnages que dans ses descriptions, la clarté domine. Aucune emphase n’alourdit l’expression, aucune métaphore prétentieuse n’obscurcit la pensée. Ses comparaisons sont rares, mais exactes. Elle ne nous accable pas sous un flot d’adjectifs, mais ceux qu’elle choisit caractérisent parfaitement leur objet ; ils sont là parce qu’ils sont nécessaires pour préciser une qualité, et non pas pour arrondir une période. Elle recherche avec acharnement la brièveté de l’expression, et en fait la qualité essentielle du style : « Il m’a semblé çà et là que la pensée aurait pu être exprimée avec moins de mots », écrit-elle encore à sa nièce Anna. Conseil assez étonnant à l’époque où Mme D’Arblay et ses imitateurs enflent jusqu’au ridicule les périodes compliquées de Johnson.

Elle a horreur du lieu commun, elle rejette les expressions toutes faites, chaque fois qu’elles ne sont pas spécialement appropriées au langage d’un personnage. « Mais je désire « conseille-t-elle toujours à Anne Austen », que vous ne le plongiez pas dans un abîme de dissipation. Je n’ai pas d’objection contre le fait, mais je ne peux supporter l’expression. Elle est tellement style de feuilleton et si vieille que j’ose dire qu’Adam l’a rencontrée dans le premier roman qu’il a ouvert ». Ce conseil humoristique nous fait deviner quel soin elle apportait à la rédaction de ses livres. Elle écrit avec facilité, mais non pas avec négligence. Si ses phrases semblent se dérouler sans effort, si elles sont parfaitement claires, si elles cisèlent la pensée avec une netteté impeccable, c’est que l’auteur a patie