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Austen a volontairement choisi un sujet un peu terre à terre, et que toute exaltation lyrique détruirait l’unité de son œuvre. Les sensations qu’elle-même ou les plus raffinés de ses personnages peuvent éprouver en face des majestueux spectacles de la nature doivent être exprimés sobrement pour rester dans le ton général du récit.

Lorsque la beauté d’un paysage est susceptible d’agir sur les sentiments de ses héros, lorsqu’il s’harmonise avec leurs pensées, qu’il est capable d’exalter leur bonheur ou d’apaiser leurs souffrances, Jane Austen n’hésite pas à nous le décrire, non pas en de longues pages avec d’infinis détails, mais en quelques lignes qui concentrent les éléments essentiels de sa poésie. Toute addition ne détruirait-elle pas la gracieuse légèreté, n’affaiblirait-elle pas l’impression de fraîcheur printanière créée par la description suivante :


C’était une journée extraordinairement délicieuse. On était en mars, mais c’était avril avec son air doux, son vent vif et caressant, son brillant soleil, qui de temps en temps se voilait pendant quelques minutes. Et tout paraissait si splendide sous l’influence d’un tel ciel ! Les effets des nuages se poursuivant les uns les autres au-dessus des navires dans Spithead et par delà l’île qui s’étendait jusqu’à l’horizon, les teintes toujours changeantes de la mer, maintenant à marée haute, dansant joyeusement et éclaboussant les remparts avec un si joli bruit, éveillaient chez Fanny, en se combinant ensemble, des sensations d’un tel charme qu’elle se désintéressait peu à peu des circonstances dans lesquelles elle les ressentait [1]).


Ce n’est pas le tableau soigné qui attirera au peintre l’admiration de la foule ; c’est la petite aquarelle lumineuse, faite de quelques coups de pinceau, où les amateurs ravis retrouvent l’impression première et l’émotion

  1. Mansfield Park.