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trompé sur les espérances ou qu’il sent ses chances diminuer. C’est le type même du vaurien de bonne famille et son portrait est tracé de main de maître.

Nous ne pouvons passer en revue tous les personnages des romans de Jane Austen qui méritent notre attention Ils sont plus d’une centaine. Chacun d’eux est utile à l’action, doué d’une personnalité bien distincte, dessiné avec autant de précision que de délicatesse ; et on se demande où l’auteur a pu trouver les modèles de caractères si variés. Elle fut sans doute une observatrice incomparable, mais son champ d’expérience était trop étroit pour qu’elle ait pu y rencontrer tous les types qu’elle nous décrit avec une telle minutie, avec une si grande exactitude. L’intuition a joué un rôle dans toute cette création, une intuition géniale, qui savait deviner juste, construire des êtres humains et non pas des pantins insensibles.

Elle ne rencontra qu’exceptionnellement un Mr Bennet, une Mrs. Norris, un Mr. Collins ; mais elle trouva dans son entourage des hommes et des femmes possédant à un degré atténué les défauts et les qualités que son imagination développa et amplifia ensuite dans ses personnages. Une de ses lettres nous montre que son art n’est pas une simple traduction de ce qu’elle observe ; elle écrit, protestant contre l’accusation d’avoir fait des portraits de ses amis : « Je suis trop fière de mes gentlemen pour admettre qu’ils ne sont que Mr. A ou le Colonel B. [1]».

Ses créations ne sont pas de raides et étroites personnifications de tel vice ou de telle vertu. Nous ne trouvons ni saintes ni atroces scélérats parmi eux, ni un Lovelace, ni un Sir Charles Grandison. Tous sont des types sans être des phénomènes, et ils sont d’une mentalité aussi complexe que nous nous senton

  1. Letters of Jane Austen.