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Miss Crawford [1] est riche ; sa fortune, ses relations, son élégance, son esprit, lui ouvrent les salons, lui facilitent les intrigues. Elle n’a pas besoin de recourir à l’hypocrisie ; au contraire, elle pose pour n’avoir plus d’illusions, ni sur les hommes ni sur les femmes. Elle ne cache pas que le mariage est pour elle une affaire à traiter le plus avantageusement possible, et qu’il lui faut, au minimum, le fils aîné d’un baronnet riche. Elle aime à étaler son cynisme : « Soyez honnête et pauvre si vous le voulez, mais je ne vous envierai pas ; je ne vous estimerai même pas ; je respecte beaucoup plus ceux qui sont honnêtes et riches», dit-elle, pour scandaliser le vertueux Edmund Bertram. Et pourtant, la gravité du jeune pasteur exerce une certaine attraction sur l’ambitieuse mondaine ; elle en est fort étonnée, car « il ne sait pas dire de fines bêtises, il ne fait jamais de compliments, ses opinions sont intransigeantes, sa politesse tranquille et simple ». C’est le fameux hommage involontaire que le vice rend à la vertu ; mais il s’y joint beaucoup de perversité ; cela l’amuse de troubler un jeune homme aussi austère. Elle n’est pas bien fixée sur ses propres sentiments ; quelquefois sa sympathie l’emporte, elle songe sérieusement à épouser Edmund ; puis elle frémit à la pensée de devenir la femme d’un pasteur et de quel pasteur ! attaché à ses devoirs, ennemi du monde, qui la traînera dans les taudis nauséabonds des pauvres ; et elle reprend ses allures de flirteuse blasée.

Lucy Steele [2] est pauvre. Elle ne peut espérer enlever de haute lutte le mari riche. Les salons où on le chasse lui sont fermés ; elle doit braconner, et y apporter toute la ruse du maraudeur. Elle est hypocrite, menteuse et fausse, non seulement de tempérament, mais aussi par nécessité, puisqu’elle veut entrer, quels que

  1. Mansfield Park.
  2. Raison et sensibilité.