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dosées ; un peu plus d’exubérance la rendrait aussi agaçante que sa sœur Lydia, et un peu plus de raisonnement aussi ennuyeuse que la pédante Mary. Ce n’est pas une intelligence d’élite, elle ne se distingue par aucun talent éclatant, elle est jolie sans être une beauté. Elle n’est, en somme, qu’une bonne petite bourgeoise ; mais sa dignité simple, son tact éveillé, lui permettent de garder la supériorité dans toutes les circonstances. Elle sait faire tourner à son avantage les coups d’épingle de Miss Bingley, les insolences de Lady Catherine de Bourgh, et séduire Darcy en le remettant à sa place. Ce n’est pas une femme de génie ou de talent, c’est une femme à l’esprit et au cœur bien équilibrés, tout simplement.

À côté d’elle, les deux héroïnes de Raison et Sensibilité semblent ternes. Elinor est un peu trop pondérée, Marianne un peu trop romanesque, pour être très sympathiques ; et il faut l’amusante galerie des personnages secondaires qui les entourent pour donner un peu de vie au roman. Mais Fanny Price, Emma Woodhouse et Anne Elliot sont trois délicieuses créations que rien ne surpasse dans le roman moderne.

Fanny Price [1] est tout dévouement, tout sacrifice ; elle songe toujours aux autres. Enfant, dans la grande maison étrangère de son oncle Bertram, parmi un entourage indifférent ou hostile, ce qui la tourmente le plus, c’est de se croire ingrate parce qu’elle ne peut arriver à se trouver heureuse chez des parents si charitables. Au milieu d’égoïstes, elle a soif d’affection ; et quelques paroles amicales, quelques bienveillants conseils de son cousin Edmund la gagnent pour la vie. Elle va aimer, vénérer, adorer à jamais celui qui lui a appris à penser et à sentir. Sans en laisser rien paraître, elle garde au fond de son cœur les légers espoirs, les petites joies, les

  1. Mansfield Park.