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belle conversion, et, à la fin du roman, elle laisse son brillant Don Juan dans l’adultère et l’impénitence.

À part Darcy, les jeunes premiers de Jane Austen n’ont aucune des brillantes qualités que le lecteur exige généralement d’un héros de roman ; et Mr. Knightley lui-même, en dépit de son ton sarcastique, n’est qu’un brave honnête homme sans aspirations très hautes, l’un des meilleurs sujets qui conservent sa valeur au troupeau humain, sans lui faire faire un pas en avant. Mais Jane Austen, nous l’avons vu par sa lettre au bibliothécaire royal, ne se proposait de peindre ni des conducteurs d’hommes ni des êtres idéals. C’est la haute société d’une petite ville qu’elle nous décrit ; et les notabilités de toutes les petites villes d’Angleterre, de France et du monde, ne sont ni des aigles ni des saints.


Les jeunes Filles


Il y a une autre cause à la médiocrité relative des caractères masculins dans les romans de Jane Austen. L’auteur est une femme ; consciemment ou inconsciemment, elle accentue ses héroïnes aux dépens de ses héros ; elle leur donne presque toujours le beau rôle, et elle soigne leur portrait avec une prédilection visible. Dans tous ses romans, ses jeunes filles ont un caractère beaucoup plus marqué que leurs amoureux et elles sont plus finement étudiées. L’auteur se sent sur son terrain, elle possède mieux son sujet, elle peut tirer d’elle-même au lieu d’observer du dehors, elle ose préciser et accuser les différences.

Nous connaissons déjà Elisabeth Bennet. Jane Austen la préférait à toutes ses autres créations ; peut-être l’avait-elle faite un peu à son image. Elle offre un heureux mélange de fermeté et de douceur, de modestie et d’ironie, de sérieux et de gaîté. Toutes ses qualités ont été admirablement