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De ce prince admirant l’héroïque fureur.

Jocaſte
Comme vous je l’admire, & j’en frémis d’horreur.
Eſt-il poſſible, oſ dieux, qu’après ce grand miracle
Le repos des Thébains trouve encor quelque obſtacle ?
Cet illuſtre trépas ne peut-il vous calmer,
Puiſque meſme mes fils s’en laiſſent déſarmer ?
La refuſerez-vous, cette noble victime ?
Si la vertu vous touche autant que foit le crime,
Si vous donnez les prix comme vous puniſſez,
Quels crimes par ce ſang ne ſeront effacez ?

Antigone
Oui, oui, cette vertu ſera récompenſée ;
Les dieux ſont trop payez du ſang de Ménécée ;
Et le ſang d’un héros, auprès des immortels,
Vaut ſeul plus que celuy de mille criminels.

Jocaſte
Connaiſſez mieux du ciel la vengeance fatale :
Toujours à ma douleur il met quelque intervalle,
Mais, hélas ! quand ſa main ſemble me ſecourir,
C’eſt alors qu’il s’appreſte à me faire périr.
Il a mis cette nuit quelque fin à mes larmes,
Afin qu’à mon réveil je viſſe tout en armes.
S’il me flatte auſſitoſt de quelque eſpoir de paix,
Un oracle cruel me l’oſte pour jamais.
Il m’amène mon fils, il veut que je le voie,
Mais, hélas ! combien cher me vend-il cette joie !
Ce fils eſt inſenſible & ne m’écoute pas ;
Et ſoudain il me l’oſte & l’engage aux combats.
Ainſi, toujours cruel, & toujours en colère,
Il feint de s’apaiſer, & devient plus ſévère :
Il n’interrompt ſes coups que pour les redoubler,
Et retire ſon bras pour me mieux accabler.

Antigone
Madame, eſpérons tout de ce dernier miracle.

Jocaſte
La haine de mes fils eſt un trop grand obſtacle.