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Enfin quand Menelas diſpoſa de ſa Fille
En faveur de Pyrrhus, vangeur de ſa Famille,
Tu vis mon deſeſpoir, & tu m’as veu depuis
Traîner de Mers en Mers ma chaîne & mes ennuis.
Je te vis à regret en cét eſtat funeſte,
Preſt à ſuivre partout le déplorable Oreſte,
Toûjours de ma fureur interrompre le cours,
Et de moy-meſme enfin me ſauver tous les jours.
Mais quand je me ſouvins, que parmy tant d’allarmes
Hermione à Pyrrhus prodiguoit tous ſes charmes,
Tu ſçais de quel courroux mon cœur alors épris
Voulut, en l’oubliant, punir tous ſes mépris.
Je fis croire, & je crûs ma victoire certaine.
Je pris tous mes tranſports pour des tranſports de haine,
Déteſtant ſes rigueurs, rabaiſſant ſes attraits,
Je défiois ſes yeux de me troubler jamais.
Voilà comme je crûs étouffer ma tendreſſe.
Dans ce calme trompeur j’arrivay dans la Gréce,
Et je trouvay d’abord ſes Princes raſſemblez,
Qu'un péril aſſez grand ſembloit avoir troublez.
J’y courus. Je penſay que la Guerre, & la Gloire,
De ſoins plus importans rempliroient ma memoire,
Que mes ſens reprenant leur premiere vigueur,
L’Amour acheveroit de ſortir de mon Cœur.
Mais admire avec moy le Sort dont la pourſuite
Me fait courir alors au piege que j’évite.
J'entens de tous coſtez qu’on menace Pyrrhus.
Toute la Gréce éclate en murmures confus.
On ſe plaint qu’oubliant ſon Sang, & ſa promeſſe,
Il éleve en ſa Cour l’Ennemy de la Gréce,
Aſtyanax, d’Hector jeune & mal-heureux Fils,
Reſte de tant de Rois ſous Troye enſevelis.
J’apprens que pour ravir ſon enfance au Supplice,