Page:Rachilde - Madame Adonis, 1929.djvu/199

Cette page n’a pas encore été corrigée

noce-là ! s’écria-t-il débouchant les bouteilles.

Marie, leur bonne, se sauvait, éperdue.

— Moi… je ne peux pas m’y habituer… ça me fait l’effet d’un fusil.

La physionomie de Louis ne témoignant pas d’un malheur, Caroline se livra plus franchement à la joie de manger gratis. Au dessert elle serra la main du failli.

— Vous serez un homme, si vous voulez, père Tranet ! lui dit-elle dans un élan spontané.

— Ah ! belle-maman, murmura le marchand de chaises, pleurant au-dessus d’une énorme part de tarte à la confiture, je suis bien indigne de vous le prouver !…

Elle ne se gendarmait pas. Le docteur fit une grimace.

— Oui, débita Tranet, levant son verre, j’aurais dû réfléchir jadis quand j’ai quitté le pays. J’étais un ouvrier solide et je n’avais qu’à me servir de mes bras pour vous amasser une dot. Ah ! si j’avais eu mes cinq mille francs… Cré nom de nom ! Nous aurions fait un ménage modèle, Caroline ! Je ne regrette pas le passé, mais l’avenir m’épouvante… Tout seul, sans direction… je suis comme un enfant sur une glissade, la culbute m’attend toujours. Il me fallait une femme économe, une maison tranquille… un tran-tran de pot-au-feu, quoi ! j’étais né pour la vie de province, voyez-vous.

Caroline était très rouge.

— Mettez donc votre argent dans notre commerce ! dit-elle d’une voix chevrotante.

— Je ne peux pas, je dois des comptes… à celle qui me le prête… elle veut s’associer avec moi pour la colle.