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— C’est divin ! du nectar ! Où se fabrique cette liqueur enchanteresse, madame ? demanda le plus jeune, se dégantant pour faire couler un rubis sur son ongle.

— Mais, dans une casserole ! dit maman Bartau avec une touchante modestie.

Louise se pencha un peu. Sa blonde tête sortit de l’ombre. Hector Carini l’aperçut.

— Je vous demande pardon, madame, je ne vous reconnaissais pas… Oh ! très drôle, madame Bartau… la visiteuse d’Amboise qui avait si peur du tonnerre ?

Louise bégaya une phrase inintelligible. Ses yeux avaient rencontré les yeux du fou.

— C’est madame elle-même, riposta vivement le cadet, comment as-tu fait pour ne pas reconnaître ce visage de Greuze ? Moi, je ne l’ai jamais oublié.

— Atout ! gronda le père Tranet, de moitié par hasard dans ce jeu terrible.

Louise se laissa tomber sur une chaise vis-à-vis de l’être énigmatique, aux façons félines, qui l’épouvantaient, tout en l’attirant, comme certains chats savent attirer de pauvres roitelets transis. Oui, c’était bien lui, le fou, mais moins fou assurément. C’était lui se présentant à l’heure des rêveries dangereuses à l’heure des tristesses décourageantes, lui, qui avait décidé ce coup de théâtre, après de longs mois de savantes tergiversations, lui qui lançait un brusque rayon dans une âme encore tout obscure ! Et la jeune femme se sentit au milieu d’un abîme. Elle ne poussa ni plainte, ni cri, elle étendit les bras, résignée, s’abandonnant déjà tout entière aux délices