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comme eux, est-ce qu’on doit être avare ? La chambre que j’ai ne leur sert plus depuis que tu n’es plus en pénitence, et je rends de fameux services à leur bonne, je t’assure. Mardi matin, je lui ai coulé la moitié de sa lessive, j’étais en nage. Je vais me fourrer dans leur cave pour soutirer leur vin, et je me dispose à casser leur bois tout l’hiver. Au fond, ça m’amuse de me battre avec l’ouvrage. Je suis content de leur prouver qu’un Parisien ne boude pas. Voyons, je te fais juge, est-ce qu’ils ont le droit de dire encore qu’ils m’ont retiré par charité ?

Il s’arrêta et se croisa les bras.

Louise s’essuya les yeux du coin de son petit mouchoir blanc.

— Oh ! non, papa !

— Est-ce que je ne gagne pas mon tabac du dimanche, par-dessus le marché ?

— Oh ! si, papa !

— Est-ce que le bourgeois doit toujours se moquer de l’ouvrier démocrate ?

— Papa, je t’en prie, ne faisons pas de politique ; moi, tu sais, je n’y connais rien.

Ils vinrent s’asseoir sur un banc, vis-à-vis d’un élégant hôtel entouré de grillages dorés.

— Tu n’y connais rien… petite malheureuse, pas moins que c’est le luxe de ces gens-là qui nous force à crever de faim ! ajouta-t-il, lui désignant l’hôtel, à travers les arbres.

Elle eut un amer sourire et ne répondit pas.

Maintenant, la jeune femme souffrait davantage, car elle comprenait que tout la cloîtrait dans son chagrin ; elle n’avait aucun recours contre la brutalité dont on la menaçait, et, trop fière pour la subir, elle se demandait comment elle se sauverait de sa prison.