Page:Rachilde - Le Grand saigneur, 1922.djvu/91

Cette page n’a pas encore été corrigée

courage, ce serait une faiblesse et vous ne larderiez pas à me la reprocher. À mon tour de vous poser une question si je ne suis pas trop indiscrète. Pourquoi ne portez-vous pas vos décorations ?

— Ah ! ça vous intéresse ? Vous aimez les rubans, vous qui n’aimez pas les bijoux ? Moi, j’ai trente-quatre ans et je pourrais être votre père en dépit de votre talent et de votre situation… tellement je vous devine petite… fille très sage, puérile. Je ne porte pas mes décorations parce que j’en ai honte. Mon orgueil intime ne me permet pas de me parer ostensiblement des insignes de la mort. Je vois rouge assez souvent sans ça !

— Je ne saisis pas, monsieur…

Il s’emballa, tout à coup, comme le cheval ombrageux qui voudrait jeter bas son cavalier. À cette minute fatale, il sentait son cerveau obscurci, dominé par un autre, plus lucide, et il tenait à se prouver son entière liberté.

— Comment ? Parce qu’on a présidé à la tuerie et qu’on a tué soi-même avec plaisir, il faudrait encore inscrire les pièces au tableau ? Elle est infernale cette obligation de rapporter un caillot de sang sur sa poitrine du charnier