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par le grand pare-brise d’avant, droite, unie comme un ruban d’argent qui s’enroule autour d’une énorme bobine. La puissante machine l’avalait, littéralement. Les murs ou les arbres s’écartaient ou se rejoignaient en une interminable sarabande. Par moments, la perspective, dans une forêt, montrait les branches cernant, à perte de vue, une espèce de colonne, une pyramide en marbre qui atteignait le ciel noir, et cela était si fantomatique, si réellement irréel, si fatigant, que l’on pouvait s’imaginer à chaque seconde qu’on allait se briser contre elle.

Michel voulut fermer les yeux, surtout pour ne plus voir. Il laissa tomber sa cigarette dans le porte-cendre et bercé par les roulements presque silencieux de la voiture, peut-être finit-il par s’endormir…

Il fut réveillé en sursaut par le brusque arrêt de l’automobile.

La voix de son compagnon de route lui sembla plus sourde, plus morte que jamais. Est-ce qu’on lui parlait en rêve ou était-on enfin arrivé ?

— J’ai dormi ? Vous croyez, Yves ? Mon Dieu, comme tout est noir ici ! Où sommes-nous ?

— En face d’un ravin de l’Orne. Et il est bien dommage qu’il fasse encore nuit, car l’endroit