Page:Rachilde - Le Grand saigneur, 1922.djvu/213

Cette page n’a pas encore été corrigée

conduisant des vivres du côté de Verdun. (Il se mit à rire de son rire sourd.) Ce n’était pas pour mon plaisir comme ce soir, je vous l’assure. J’ai du faire une terrible embardée sous des éclats d’obus et j’ai perdu les deux camarades accrochés au marchepied, plus toute une caisse de… confitures ! On faisait tous les métiers en ce temps-là. Je n’étais pas là pour ça, mais le conducteur expirait, basculé par-dessus le volant. Or, conduire un camion en course… c’est impossible. La confiture, de la groseille, je crois, ruisselait de tous les côtés à travers la bâche et les entrailles des pauvres diables coulaient le long des roues d’avant. On ne savait pas ce qui paraissait le plus rouge de toute cette marmelade.

— Et vous ? questionna Michel dans un frisson nerveux qu’il ne put réprimer.

— Moi, j’ai continué. Je suis arrivé au poste de ravitaillement couvert d’une liqueur qui poissait vraiment trop… et on m’a offert ma première citation. Entre nous, ce n’était pas la peine.

— Pourquoi ?

— Parce que j’aime le rouge, fit laconiquement le marquis.

— Oui, je sais. En ce moment, vous parlez