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neur de la baronne de Caumont ! une histoire ancienne !… Et ils se poussaient du coude, la regardant se pencher sur la balustrade, ses mains gantées de gants paille jointes dans une attitude méditative, ses yeux étincelants derrière le masque, la longue traîne de son domino loutre tournée autour d’elle comme la queue monstrueuse d’une hydre. Les dentelles ne cachaient pas la bouche fine et rose, d’une étroitesse de blessure qu’on ne pourrait jamais cicatriser ; par instant les dents saillaient, lividement blanches. Elle attendait quelque chose qui ne voulait plus venir. Elle souffrait, n’étant pas encore blasée et voulant des émotions comme l’ivrogne veut de l’eau-de-vie. Ah ! bien oui, l’honneur de la baronne de Caumont ! l’honneur des dames de la névrose parisienne quoique titrées, menant un train d’enfer ! Bon rapport de scandale pour les journaux à la mode… Autrefois, on les aurait défendues peut-être contre les lanceurs d’ordures, mais aujourd’hui, merci-Dieu, tout était changé, une femme n’était plus une femme : prostituée, grande dame et princesse, tout roulait pêle-mêle dans une cohue pareille à ces foules de Bullier salies du reflet vulgaire de ces globes multicolores. Eux-mêmes donnaient l’exemple, mangeant leur souper et bavant ensuite sur leurs jupes. La joyeuse débandade, hein ? que les célébrités femelles leur déroulaient chaque nuit à travers la fumée de leurs cigares. Plus de mères, plus d’épouses, plus de jeunes filles… rien que de la copie pour le Gil Blas.