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— Elle croyait que je venais chercher du lait ! répétait Tulotte, de moins en moins à son aise à cause du temps orageux.

— Oh ! c’est très sensible, racontait le boucher ; moi qui vous parle, quand j’avais l’âge de votre demoiselle, je n’aurais pas saigné un poulet.

— Et moi, ajoutait l’aide dont les bras étaient encore fumants, si on m’avait dit que j’avais une écorchure sur la peau, avant de la sentir, j’aurais hurlé.

Ce boucher velu lui soufflait tout doucement sur les lèvres ainsi qu’il l’avait vu faire dans le bec des petits poulets mourants, et il s’y prenait comme une nourrice.

— Elle est bougrement jolie, la petite colonelle ! déclara-t-il, attendri par la capote et le bouquet de fleurettes qu’il souillait de sang.

Elle était jolie, mais un peu bizarre. Ses yeux clos étaient si rapprochés l’un de l’autre que la ligne des sourcils semblait se rejoindre comme un trait d’encre. Le front étroit avait une harmonieuse courbe, la bouche mince avançait légèrement la lèvre inférieure dans un rictus de dédain déjà trop accentué ; le nez, d’une arête droite, était fin du bout, aux ailes battantes. Les cheveux, d’un noir intense, avaient des reflets luisants et ils se collaient plats autour des joues. Tout le corps était merveilleux de forme, souple, maigre, sans les fossettes ridicules et bien portantes des bébés, les mains ouvertes se dessinaient dans un ovale exquis, le pouce était long, rejoignant la première phalange de l’index.