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élégants regardant les choses du haut de leurs chevaux de luxe tout le monde songeait à la fuite du côté du Midi.

Une nuit, Mary Barbe, qui dormait peut-être seule dans toute la cité, fut réveillée par un chant étrange montant de la rue. La fillette se leva, les cheveux hérissés, la sueur aux tempes. Elle s’approcha de la fenêtre, cela lui venait véritablement de la rue et n’était pas un cauchemar. Elle ouvrit avec précaution et risqua sa petite tête pâle en dehors. La rue semblait déserte ; pourtant, une masse confuse se vautrait dans le ruisseau, devant leur porte, une espèce d’animal, marchant à quatre pattes, couvert de boue.

— La vilaine bête ! s’écria Mary.

L’ivrogne continuait son interminable refrain ; il déclarait, sur le ton le plus faux d’ailleurs, que l’ennemi errant dans ses campagnes égorgeait ses filles et ses compagnes ! Jamais Mary n’avait encore ouï rien de pareil.

« Attends ! » murmura Mary qui avait le dégoût de l’ivrognerie… Elle saisit une carafe, la vida en riant sur le pochard ; celui-ci parvint à se remettre en équilibre, un peu dégrisé, et hurla beaucoup plus fort :

Aux armes, citoyens ! Marchons !… marchons !…

Mary avait fait la connaissance de la Marseillaise et telle est la puissance de cet hymne terrible et grandiose que le lendemain, obsédée par le refrain, elle se surprit à hoqueter, comme l’ivrogne de la nuit.