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vira de père à ma fille : c’est ma volonté ; ensuite, quand elle atteindra ses seize ans on les mariera et… morbleu ! souvenez-vous qu’il faut beaucoup de mâles pour servir le pays !

Certes, rien ne faisait prévoir une telle conclusion. Jacquiat crevait d’orgueil dans son dolman trop étroit, il prépara une phrase ronflante et ne trouva qu’un « oui, mon colonel » suffoqué. Tous les camarades se poussaient du coude ayant l’air de se dire : « aux innocents les mains pleines ». Mary, elle, gardait un sérieux glacial. Épouser celui-ci ou celui-là, que lui importait, à son âge ? D’ailleurs il pouvait ne pas revenir non plus. Tulotte donna l’accolade au futur, elle promettait de lui servir de mère. Un instant chacun eut comme une larme et fit des hum ! hum ! de circonstance, puis on causa des succès extraordinaires qu’on entrevoyait par delà le Rhin. Le 8e hussards ferait son devoir, car « le poil brillant de ses chevaux, les gloires de ce règne et les destinées de la France »l’y invitaient On se sépara sur ce cri : « Vive le colonel ! »

Un matin, on vint apprendre à Mary que son père était en route pour la frontière ; elle fut stupéfaite. La veille encore il l’avait embrassée en lui répétant qu’elle devait ne point s’attendrir. Alors, elle retint ses pleurs. Jacquiat, le fiancé, avait envoyé un bouquet blanc, elle le mit dans l’eau fraîche et chercha des nouvelles dans les journaux de la localité.

Son imagination de petite fille qui se raconte des histoires lui montrait la guerre sous des formes