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— Tu as raison ! répondit le père, n’osant rien dire du drapeau parce qu’on était près des tribunes.

Elle suivit le défilé d’un regard distrait, effeuillant son bouquet sur les hommes et sur les chevaux avec une vague inclination, semblant leur dire que rien ne l’intéressait plus puisqu’on était si lâche. Elle aurait voulu la mêlée pour de bon avec les sabres au clair, les têtes vraiment coupées, les vaincus vraiment morts. Quelque chose de sinistre tout en restant drôle… Un combat acharné pour une de ses violettes s’envolant, des cris d’agonie, un champ de carnage et du sang ruisselant à flots. Cela faisait pitié de voir de quelle allure ses soldats s’amusaient ! Pour un beau chiffon de soie ils n’avaient pas eu le courage de se tuer un peu. Quand les enfants se battent, ils tapent sérieusement, à poings fermés.

Une semaine après les fêtes qui avaient fait à la jolie ville de Joigny comme une apothéose, la guerre était déclarée aux Prussiens. Le colonel partait avec le gros du régiment, ne laissant dans sa garnison que le dépôt des officiers non désignés, sa sœur et sa fille. Avant de partir, il fit un discours à son dernier punch ; le brave homme, sans varier la traditionnelle allocution, y ajouta seulement une scène digne des temps anciens. Il prit la main de Mary, la plaça sur celle de Jacquiat et leur dit :

— Mes enfants, vous êtes bien jeunes, mais cependant je désire vous fiancer en ce jour solennel. Il se peut que je ne revienne pas, Jacquiat aura de l’avancement, lui ; il reviendra, j’en suis sûr. Il ser-