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Le colonel, immobile, devant la tribune des autorités, sur son cheval s’ébrouant, jugeait des lances rompues et des turcs enfilés. Les chasseurs avaient d’abord paru beaucoup plus calmes que les hussards, mais, peu à peu, échauffés par les regards de toute une ville qui leur préférait les hussards, ils s’emballaient, abattaient des masses de turcs, sautant les barres fixes, voltant, valsant, y mettant du leur, en tant qu’ennemis. On forma une roue gigantesque qui faillit manquer à cause de leur ardeur soudaine à vouloir tourner. Le colonel retroussait les narines, et le sous-préfet, qui avait assisté aux répétitions, ne comprenait plus.

Mais quand vint le morceau sérieux du carrousel, la prise du drapeau, voilà que les gredins de chasseurs eurent tous à la fois l’idée de ne pas laisser prendre l’étendard du fort et que les coquins de hussards, d’ailleurs dans leur droit, ne voulurent pas leur céder le pas. Les chevaux, entraînés aux sons de la musique et des applaudissements depuis deux heures, envoyaient des ruades ne présageant rien de bon. Madame Corcette se pencha à l’oreille du sous-préfet pour lui murmurer :

— Je crois, Anatole, que cela se gâte !

Une femme d’officier ne devait pas s’y tromper. Cela se gâtait, seulement le bon peuple ne devinait pas, lui, et applaudissait toujours.

Mary s’était levée de son trône, les yeux dilatés par l’odeur de la poudre. Un bras enroulé à sa lance d’or, le profil tourné vers la bataille, elle