Page:Rachilde - La Marquise de Sade, 1887.djvu/217

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vue sur les villes qu’on avait habitées, les gens, les monuments qu’on connaissait bien et dont on écorchait les noms. Ensuite, on prenait une goutte de vieux bourgogne pour trinquer à de nouvelles amitiés françaises. Les repas, faits en trois temps, étaient généralement brûlés ou pas cuits, alors on courait au restaurant du coin, un excellent restaurant, pas cher, et on achetait n’importe quoi tout chaud. À ce moment-là, les bruits de guerre se répandaient plus accentués. Les journaux de Joigny, rédigés en belliqueux français, lançaient de fréquentes allusions aux espions prussiens. Le peuple, dans ses bagarres, se traitait d’espion, après avoir employé les injures du dictionnaire bourguignon, assez riche en vocables épicés. Estelle, les ordonnances, Tulotte avaient sans cesse le mot de sale Prussien à la bouche. Il résultait de ces désordres intimes et de ce patriotisme de bas étage une effervescence bizarre tenant à la fois d’un énervement féminin et d’une lassitude des choses, grondant sourdement de partout.

Les réceptions du colonel, revenant tous les jeudis, se ressentaient de cet état de fièvre ; on y faisait un vacarme frisant le scandale : une exaspération de tous ces pantalons rouges ayant des envies de sauter. Le souvenir des arrêts forcés de Haguenau leur remontait à la tête ; ils se payaient du plaisir vite, à bras que veux-tu, parce que du train où marchait l’affaire on ne savait pas si on s’amuserait encore demain. Pas un de ces officiers, du