Page:Rachilde - La Marquise de Sade, 1887.djvu/207

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On avait espéré qu’il confierait sa fille à la garde d’une bonne, mais on ignorait qu’Estelle se grisait, et que mademoiselle Tulotte détestait ces corvées-là.

Daniel Barbe, très droit, en uniforme, le sabre traînant, fronçait les narines d’un air dédaigneux. Sa fille lui faisait honneur, le pékin était enfoncé. Cependant il remarqua que pas une de ces dames ne se détachait pour venir à leur rencontre ; le gros négociant avait salué sans lui tendre la main. Daniel caressait sa barbiche grisonnante, mâchant des mots qu’un colonel doit employer quand il flaire une déroute.

Ces fêtes alsaciennes, dont rien à Paris ne peut donner une idée, sont uniquement réservées aux enfants, et les parents n’y ont que le second rôle. Il ne leur est pas permis de se plaindre du bruit, de la gourmandise ou des taches, les plus nabots sont leurs maîtres absolus, et ce que l’on mange est incalculable. De tous les côtés des domestiques poussaient des corbeilles roulantes combles de gâteaux : des pains de Colmar dorés et gratinés d’anis, si légers, qu’on en dévore des masses sans s’en douter, des tartes à la cannelle odorantes et chaudes, des bâtons d’angéliques cuits à l’eau et poudrés de sucre candi, des fruits entourés de pâte molle, soufflée, des tranches de koukloff garnies de leurs grains de raisins bruns, toutes les variétés de beignets, des crèmes cuites au four, très rousses, des œufs durs coloriés. L’on puisait les sirops dans une fontaine de porcelaine flanquée de glace et les boissons chaudes