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tait-il en prenant l’un des jumeaux, énorme, crevant de santé, et il défaisait sa brassière, les doigts experts en cette chose, ne voulant pas qu’il pût se déformer la taille. Sa femme suivait ses moindres gestes, ayant le double respect du médecin qui l’avait accouchée et de l’époux qui l’avait rendue mère. Une bonne vint les prévenir que le dîner fumait sur la table. On mangea consciencieusement des plats monstrueux. Pour que la digestion s’opérât bien, on ne discuta qu’à voix basse le mérite de la tarte dont un coup de feu de trop avait rendu les bords un peu trop croustillants, la bonne fut réprimandée d’une phrase lente, une phrase qui causa une peine extrême à tout le monde. Puis, le soir tombé, le docteur bourra une pipe de porcelaine, baisa le front de sa femme et se retira chez lui. En général, les époux alsaciens ont deux lits, cette disposition du ménage rendant plus solennels certains actes de leur existence. C’est une dignité que d’avoir deux lits.

Ce soir-là, Wilhem, au lieu de se coucher, écrivit son testament. Dans sa tête calme de mari discrètement heureux, il arrangeait sa mort sans se lamenter davantage : reculer, ça ne se pouvait pas, selon toute logique ; pour un colonel de perdu, il retrouverait trente-six hussards furieux, et on ne pouvait plus arranger l’affaire. Il ne s’était jamais battu, le courage n’était pas son métier, il accouchait des femmes, lui. Il mettait au monde des hommes et ne les tuait pas. S’il y avait un moyen de se sauver, peut-être l’aurait-il accepté, parce que, c’était sûr,