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ou que brusquement les êtres vous quittent. Ses longs silences d’enfant rudoyée qui boude portaient peu à peu des fruits amers, elle s’isolait avec une volonté froide de tout ce qui est le plaisir de l’existence ; à l’état latent, c’était déjà une blasée, ayant le dédain de courir et sachant déjà que marcher fatigue.

Elle avait parfois des désespoirs fous lorsqu’elle songeait au miracle attendu vainement. Ah ! il était aimable le bon Dieu ! Qu’est-ce que cela lui aurait coûté de faire tomber un ange microscopique de son paradis, un ange pour la distraire, un Siroco très léger, toujours flottant derrière ses épaules ? Elle ne jouait plus à la poupée, elle s’intéressait aux livres de voyage illustrés où il y avait des bêtes féroces qui mangeaient des hommes. Faire des voyages, affronter des périls, tuer des éléphants, la tentait. Ou elle s’imaginait les excentricités que voulait faire Siroco le jour de la frairie du village. On partait deux dans une forêt sombre, et on plantait un parapluie n’importe où. On s’asseyait pour manger un morceau de singe cuit sous la cendre et des bâtons de sucre de pomme, puis on s’embrassait en s’appelant : ma femme, mon cher mari. On était libre comme le vent, on grimpait aux arbres pour chercher des fruits verts. Il y avait des dangers épouvantables, des ruisseaux à franchir, une lionne enragée qui jetait du feu par la gueule, des Indiens qui voulaient vous faire frire ; on tremblait la main dans la main, prêts à mourir, puis tout à coup un bosquet de roses, des ruisseaux de miel, un chat savant qui exécutait des