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rent, la nourrice ne chantait plus, mais un bruit rauque se mêlait aux craquements du chalet, ce bruit partait du lit, on aurait dit un souffle de bête qui étouffe. Mary se leva d’un bond, tout à fait réveillée. Parmi ces femmes ivres, il y en avait une vraiment malade, car on ne ronfle pas ainsi quand on dort.

À tâtons, elle s’approcha du poêle, frotta une allumette et ralluma la veilleuse qu’on avait laissée sans huile, puis elle se tourna vers le lit.

La grosse franc-comtoise, couchée en travers, à demi déshabillée, la bouche ouverte, les paupières closes et avec son éternel aspect de niaise, cuvait son kirsch. On ne voyait plus le petit enfant qu’elle avait roulé dans les couvertures, elle s’était jetée dessus de tout son poids, elle l’écrasait en songeant peut-être qu’il lui souriait de meilleure humeur ! Deux très petits pieds tendus, rigides, derrière l’oreiller, sortaient seuls de l’amas de ses lourdes chairs. Mary sentit ses cheveux se dresser sur sa tête, et toujours ce bruit rauque, indéfinissable, ce bruit de bête qui étouffe se mêlait aux hurlements du vent. Elle fit un pas dans la direction de ce lit, il fallait éveiller de force la brute endormie ou appeler tout de suite du secours, il suffisait même de repousser un peu la nourrice pour dégager l’enfant, mais une idée atroce s’empara du cerveau de Mary. Pourquoi aurait-elle sauvé la vie de son frère ? L’avait-elle demandé ce frère ? Avait-elle souhaité sa naissance, sa naissance, c’est-à-dire la mort de sa mère ? Déjà, il ne criait