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après la scène effroyable de M. Brifaut, elle errait comme une âme en peine le long des galeries de bois, regardant, le matin, les bonds de Castor parmi les poules de leur basse-cour et songeant, au crépuscule, que le son des retraites militaires est une chose bien triste lorsqu’une petite fille écoute les échos des montagnes sans sa mère pour les lui expliquer.

Elle essaya de se distraire dans les lectures monotones de ses leçons, de descendre au jardin avec des livres comme le faisait souvent Tulotte qui lisait des romans traduits de l’anglais ; seulement son roman à elle était sa grammaire ou son histoire de France et ces récits dépourvus d’imagination la faisaient pleurer d’ennui. Une fois elle eut un ver à soie que lui donna un ouvrier magnan, — il y avait des foules de magnaneries autour du chalet, — elle éleva son ver dans un cornet de papier, il fit un cocon, puis devint papillon ; elle pensa qu’on pouvait apprivoiser ces sortes de bêtes, mais Estelle le piqua d’une épingle contre le mur de sa chambre, lui disant que cela « pondait des mites » sur les étoffes de laine.

Et son petit frère criait toujours, promené par la franc-comtoise ahurie qui chantonnait une invariable chanson de son pays. Impossible de dormir, impossible de penser. Célestin avait des coliques, des convulsions, et le caractère des souffreteux, gens intraitables dès leur berceau. La priorité de son sexe s’affirmait dans ses cris étourdissants ; les trois femmes de la maison s’inclinaient devant cette rage inépuisable, l’une apportait un hochet, celle-ci du