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On lui préférait son frère et grossièrement on le lui faisait sentir. Si Estelle était moins pieuse que chez la dernière des de Cernogand, la propriétaire de Dôle, en revanche elle poursuivait toujours Mary de son ancienne rancune de dévote. Quand le petit Célestin criait, c’était Mary qui avait tort. Ce nourrisson faible et mal venu remplissait toute la maison de clameurs aiguës comme celles d’une perruche. On avait les nerfs irrités, le tympan meurtri, on avait besoin d’une querelle pour se détendre et on la cherchait à Mary.

— Quel malheur ! répétaient les bonnes, d’être embarrassé de cette fille-là, quand ce garçon nous suffirait bien !

Le pire était que le colonel, ayant désiré un garçon de tout temps, se demandait quelquefois ce que signifiait la présence de cette fille, alors que le second poupard aurait dû naître le premier, mieux portant, plus vigoureux. Sans réfléchir qu’il lui avait coûté l’existence de sa femme, il lui trouvait une raison d’être, tandis que la fille lui semblait un objet inutile, représentant un avenir incertain.

Le colonel Barbe avait, du reste, une autre préoccupation affectueuse. Après les mois de deuil sérieux étaient venus les mois de liberté ; la maison, remise sur un bon pied par la cousine Tulotte, s’était affranchie de ses habitudes maladives ; on avait fabriqué des plats plus fortement épicés, ajouté une bouteille de bordeaux au verre d’eau rougie ; Tulotte aimait la bonne chair, elle se privait du vivant de