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— Pour la manger ! répondit tranquillement la petite.

M. Brifaut se tourna du côté de son complice.

— C’est vrai, murmura celui-ci avec un triste sourire de reconnaissance à l’adresse de son tyran : elle l’a mangée !

Le vieux jardinier, pareil à l’ange exterminateur, levant son gourdin comme une épée flamboyante, désigna la grille du jardin à Mary. Celle-ci, très digne, se retira, contente après tout d’avoir fait courageusement son devoir.

— La petite misérable ! balbutia M. Brifaut, et une grosse larme tomba sur sa barbe grise. La petite misérable !… Oh ! les enfants, les idiots, les crétins, les lâches… Ça mange en une seconde des roses qui m’ont coûté à moi, un vieil homme près de mourir, deux ans de création ! La petite misérable !…

Siroco s’était emparé d’un arrosoir.

— Monsieur, ne vous tournez pas le sang et battez-moi si ça peut vous consoler ! dit-il humblement.

Le vieux jardinier haussa les épaules. Il revint d’un pas traînant vers sa maisonnette, comme assommé.

À partir de ce jour de juin, Mary, chassée du paradis des roses, ne sut plus que faire de ses récréations. Elle n’avait plus de prétexte pour fuir son petit frère qu’elle haïssait, on ne voulait pas la promener en dehors du jardin de leur chalet et on lui défendait d’aller du côté du fleuve. Elle s’asseyait sur la galerie, ne disant rien, sans cesse tourmentée par Tulotte, qui était devenue insupportable.