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Ils finirent par s’endormir dans l’ombre asphyxiante des rosiers moussus, enlacés d’une étreinte folle.

M. Brifaut, ayant consigné sur son registre le produit de sa nouvelle greffe et entendant sonner trois heures, se leva pour donner des ordres à Siroco, mais il fit d’abord le tour de ses corbeilles. L’empereur du Maroc, en robe de pourpre presque violette, avait une feuille sèche qu’il ôta ; la rose verte, toute petite, assez laide et se détachant à peine de son feuillage, vraiment verdâtre, lavée de couleur chair[1], demandait de l’humidité ; une gloire de Dijon, énorme, lie de vin, avec un aspect de bourgeoise habillée pour le dimanche, était couverte de fleurs fanées ; une cent-feuilles, monstrueuse, qu’on avait obtenue aussi grosse qu’une tête d’enfant, se penchait, malade. Le vieillard s’empressa autour de ses bien-aimées, bougonnant contre la paresse de Siroco.

— Pourvu, pensa-t-il, que le soleil n’ait pas terni notre Émotion !

Il arriva près du rosier, le cœur palpitant, l’œil attendri, puis brusquement il s’arrêta court. Il voyait bien le rosier rondelet, vert comme un chou, mais… Ah çà ! est-ce qu’il rêvait !… Non, ce n’était pas possible ! L’Émotion cueillie ! l’Émotion disparue. Ses bras tombèrent. Allons donc !… Un vertige sans doute, une autre émotion ! Il se frotta les yeux du revers de sa main tremblante et il ne put

  1. Elle existe ainsi que la rose bleue.