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Hors la ville, le colonel Barbe avait pu louer un chalet tout découpé légèrement, avec des galeries de bois, posé au milieu d’un jardin comme un jouet d’enfant. On appelait cet endroit de Vienne : la Vallée des roses, et l’on vivait là, le père, Tulotte, Mary, la nourrice — une franc-comtoise stupide et douce — l’enfant qui criait de l’aurore à la nuit, Estelle, moins pieuse, rééprise de ses deux ordonnances, plus un grand chien de chasse ne répondant jamais au nom de Castor.

Mary, ce jour de juin, semblait abandonnée à elle-même ; sauf le chien, un magnifique épagneul anglais, personne ne la suivait. Elle avait fini par conquérir l’indépendance, car on se souciait beaucoup plus maintenant du frère que de la sœur. Mary terminait ses devoirs très vite après son déjeuner, dégringolait l’escalier des galeries et se sauvait dans la campagne : elle sortait par une porte du jardin donnant du côté du Rhône. Le sentier serpentait entre les jardins des villas avoisinantes, tout ombragé de sureau fleuri qui répandait une odeur violente le long de sa route. Encore en deuil, elle avait une robe de cachemire noire, une guimpe de batiste, un immense chapeau de paille brune, et sous ce chapeau s’étalaient ses deux nattes luisantes comme du jais, bien plus grosses, bien plus lourdes. Sa figure s’était singulièrement attristée, sa bouche devenue plus fine avait aux coins une ciselure méchante, ses yeux bleus rapprochés l’un de l’autre gardaient une expression de mauvaise audace. Elle