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Je prends mon chapeau, je cours au numéro 7 de la rue de l’Odéon.

« Monsieur Monnier, vous êtes fou !

— Pas même décadent, ma petite Rachilde, je veux mon compte rond dans mes feuilles, me faut mes trente pages… !

— Vous ne voulez pas que j’ajoute à l’intrigue une situation corsée : une histoire si convenable !!…

— Non… cherchez du neuf, c’est votre métier.

Je garde une attitude tellement malheureuse que M. Monnier se déride :

« Je vous plains, pauvres petits ! Ces romanciers ? pas l’ombre de littérature spontanée. Quand il s’agit de fournir des choses que personne ne leur demande, ils sont toujours disposés, les misérables ; mais quand on veut obtenir d’eux le nécessaire, n’y a plus de cerveau. Eh bien ! faites une préface… bête, mais j’aurai mes trente pages.

— J’ai une antipathie marquée pour les préfaces, surtout pour celles de l’auteur.

— Moi aussi.

Un silence. M. Monnier mordille le bout de son porte-plume ; moi je regarde la robe de madame M… qui est d’une soie compliquée et changeante comme une éclipse de soleil vue au travers d’un cristal fumé. Elle est charmante, madame M… brune, de teint mat, puis si bonne ! C’est elle qui arrête le courroux de l’éditeur quand celui-ci tonne contre les bévues de ces pauvres petits (les romanciers) je l’entends murmurer, compatissante :

« En mettant beaucoup de blancs autour du texte… peut-être…

— Oh ! oui, mon cher éditeur… mettez des blancs, des vignettes, des machins de lampe… des fleurs, des oiseaux,