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perdre complètement de vue la réalité du cercueil. Elle s’amusait si bien dans la vie que de plus en plus s’éloignait, à son horizon clair, ce point noir de la mort qui, pour les misérables, garde toujours les proportions effrayantes ! Ses oiseaux, ses chats, ses chiens, ses singes, une fois trépassés, étaient jetés avant même que son esprit eût le temps de s’attrister en présence de leur immobilité. Le jour de son mariage si on lui eût certifié qu’on pouvait acheter le droit de vie éternelle avec énormément d’or, elle l’aurait cru… Maintenant, il y avait une certaine différence !… elle était moins jeune fille ! et comme elle était occupée, ensuite, par le monde chez elle chaque lundi ! Toutes ces visites à rendre, ces changements de saisons, de décors, de résidences ! Les devoirs du mariage ?… Une phrase qu’elle croyait comprendre, celle-là, en la répétant souvent.

Elle aurait bien voulu qu’il ne se tuât pas ; car cela lui ferait mal !… Il pourrait agoniser longtemps. Qui le ramasserait comme elle venait de ramasser son bouquet de violettes ? Quel malheur pour elle, d’attirer ainsi les regards !… Comme on serait étonné, surpris de savoir cela !… Elle espérait bien qu’on ne saurait pas… et, brusquement, d’un mouvement plein de respect, joignant ses doigts gantés, elle fit une courte prière, choisissant, au hasard de son répertoire du couvent, la plus appropriée à la circonstance. Nous ajouterons qu’elle était en latin et que Berthe ne la comprenait pas.

— Ah ! çà… mignonne ! s’écria une voix d’homme