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étrange s’emparait de la jeune femme autrefois si folle et si spontanée. Un désespoir qu’elle ne cachait même pas à Maxime la minait en l’endormant dans une molle rêverie. Elle était surveillée par les deux serviteurs du comte qui secouaient douloureusement la tête lorsqu’elle s’asseyait devant les vagues tumultueuses.

— Ça finira mal !… disaient-ils.

Non, Berthe ne songeait plus au suicide, elle attendait quelqu’un ; soit qu’elle eût les yeux fixés sur l’eau, soit qu’elle cueillît ses fleurs. Ce quelqu’un ne pouvait ni ne voulait venir. Alors elle se demandait comment la situation se dénouerait et si elle se dénouerait jamais.

Berthe était d’une constitution peu robuste. Petite fille, elle n’avait pas reçu les soins de sa mère à cause de l’irrégularité de sa naissance, et, fillette, les miasmes de Paris l’avaient légèrement empoisonnée ainsi qu’ils empoisonnent toutes les fillettes élevées dans la banlieue. Transformée ensuite par la fortune de son mari, elle avait eu une crise de jouissances de toutes les sortes. Sa jolie pâleur de mondaine très aimée n’avait fait qu’augmenter. Pour atteindre ce degré de beauté provocante, de grâces à la fois mièvres et irritantes, elle avait dû demander à son corps plus qu’il ne pouvait rendre. Comme ces merveilleux coureurs de turf, après le saut de l’obstacle, elle s’étendait agonisant doucement dans la prairie voisine, loin des bravos du départ, en s’apercevant que la fatigue est encore plus