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Berthe avait obéi, ses livres étaient brûlés, mais son cœur lui suffisait pour inventer la poésie. Soirès ne put s’empêcher d’être un peu ému.

— De sorte que si tu tombais dans la misère, tu ne m’aimerais plus et tu aimerais encore le comte ?

— Jean, ta femme t’aimerait toujours, je te le jure, car tu es le meilleur des hommes… (elle baissa la tête) et Berthe se souviendrait de temps en temps de celui qui voulait lui créer une intelligence.

— Les aspirations… nous y sommes !…

— Ne raille pas Jean, une mère élèvera mal ses enfants si elle ne connaît rien de la vie.

— Alors, fit-il avec explosion, c’est pour savoir élever nos enfants futurs que tu te livrais à lui ?

Berthe bondit ; ses yeux du même bleu que celui du myosotis brodé, prirent une sombre expression.

— Jean… je me suis offerte au comte non pas parce que je l’aimais, je le comprends aujourd’hui, mais parce que tu m’as appris, toi, que la possession du corps est l’unique but de l’amour… si j’avais su ce que je sais, tu n’aurais pas une faute à me reprocher, et tu ne te douterais même pas que je pense à lui en ta présence.

— Supprime donc le corps de ton héros de roman, riposta Soirès dont le sang bouillait malgré ses violents efforts pour demeurer gouailleur, et nous verrons !

— Tu peux le tuer, Jean, ma pensée lui restera fidèle au delà de la mort !