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que vous ne m’osiez pas demander. Ce qui me l’a fait différer si longtemps est la honte que j’ay que vous appreniez par mes lettres que je vis encore après vous avoir tant dit de fois que je ne pourrois pas vivre un quart d’heure éloigné de vous. La seule consolation qui me reste est l’asseurance que vous m’avez donnée de me garder place en vostre souvenir ; et je crois que, me surpassant en toutes choses comme vous faittes, vous ne me voudriez pas céder en fidélité. Mais quand je considère ce que vous estes et ce que je suis, je ne puis m’imaginer qu’il y ait rien en moy digne d’arrester vostre affection. En ces diverses pensées je m’enquiers de vos nouvelles à tous ceux de ces quartiers ; je leur demande de quelle sorte vous vivez, quelles personnes vous visitent, si vous demeurez aux villes ou à la campagne ; bref, je leur demande toutes choses, excepté ce que je veux sçavoir. Voilà, madame, des tesmoignages d’une discrétion qui mériteroit autant d’estre récompensée que ma persévérance, si vous estiez un peu moins insensible que vous n’estes. Mais je voy bien que vostre esprit est aussi exempt de passion que s’il estoit déjà dans le ciel, et que toute la fin de vostre amour est d’estre aymée. Je ne sçay pas ce que vous diriez de ceux qui voudroient toujours naviguer, sans dessein d’arriver jamais au port ; mais je sçay bien que le mesme jugement que vous feriez d’eux, tout le monde le fera de vous, sinon moy, qui n’auray jamais d’autres désirs que vos volontez, et qui m’estime plus heureux d’estre à vous que de posséder toutes les autres beautés de la terre.