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Dans ces graves conseils d’affaires accablez ;
Il voit sans interest la mer grosse d’orages,
Et n’observe des vents les sinistres presages
Que pour le soin qu’il a du salut de ses bleds.

Roy de ses passions, il a ce qu’il desire,
Son fertile domaine est son petit empire ;
Sa cabane est son Louvre et son Fontainebleau ;
Ses champs et ses jardins sont autant de provinces,
Et, sans porter envie à la pompe des princes,
Se contente chez luy de les voir en tableau.

Il voit de toutes parts combler d’heur sa famille,
La javelle à plein poing tomber sous la faucille,
Le vendangeur ployer sous le faix des paniers,
Et semble qu’à l’envy les fertiles montagnes,
Les humides vallons et les grasses campagnes
S’efforcent à remplir sa cave et ses greniers.

Il suit aucunesfois un cerf par les foulées
Dans ces vieilles forests du peuple reculées
Et qui mesme du jour ignorent le flambeau ;
Aucunesfois des chiens il suit les voix confuses,
Et voit enfin le lievre, aprés toutes ses ruses,
Du lieu de sa naissance en faire son tombeau.

Tantost il se promene au long de ses fontaines,
De qui les petits flots font luire dans les plaines
L’argent de leurs ruisseaux parmy l’or des moissons ;
Tantost il se repose avecque les bergeres
Sur des lits naturels de mousse et de fougeres,
Qui n’ont autres rideaux que l’ombre des buissons.

Il souspire en repos l’ennuy de sa vieillesse
Dans ce mesme foyer où sa tendre jeunesse
A veu dans le berceau ses bras emmaillottez ;
Il tient par les moissons registre des années,
Et voit de temps en temps leurs courses enchaisnées
Vieillir avecque luy les bois qu’il a plantez.