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STANCES.


Quel Dieu cruel tient mon sort en sa main,
Qui me fait estre à moy-mesme inhumain ?
Quelle manie à present me possede ?
Plus mon ingrate a pour moy de rigueur,
Plus je l’adore et plus je sens mon cœur
Aimer le mal et haïr le remede.

Mon soin n’est plus d’estre mis dans les Cieux
Au mesme rang de ces grands demy-dieux
Dont les vertus nous servent de modelle :
Je me plais tant à ma captivité
Que, si j’aspire à l’immortalité,
C’est seulement pour la rendre immortelle.

Bien que mes cris soient par-tout entendus,
Bien que mes pleurs soient par-tout espendus,
Bien que ma vie esteigne sa lumiere,
Si je vous prie, ô destins tout-puissans !
De me guerir des ennuis que je sens,
Gardez-vous bien d’exaucer ma priere.

Quoy que chacun me puisse figurer,
Il n’est point d’heur plus grand que d’adorer
Une beauté si digne de loüanges.
Je vis au ciel sans bouger d’icy bas,
Et pense voir, en voyant ses apas,
Tous les apas que possedent les anges.

Ce grand Thebain que rien ne put domter,
Qui comme moy fut fils de Jupiter,
Et dont la gloire en toute part est sceuë,