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chapitre viii

auecques ſoy le marchant, & feut noyé, en pareille forme que les moutons de Plolyphemus le borgne Cyclope emporterent hors la cauerne Vlyxes & ſes compaignons. Autant en feirent les aultres bergiers & moutonniers les prenens vns par les cornes, aultres par les iambes, aultres par la toiſon. Lesquelz tous feurent pareillement en mer portez & noyez miſerablement.

Panurge à couſté du fougon tenent vn auiron en main, non pour ayder aux moutonniers, mais pour les enguarder de grimper ſus la nauf, & euader le naufraige, les preſchoit eloquentement, comme ſi feuſt vn petit frere Oliuier Maillard, ou vn ſecond frere Ian bourgeoys, leurs remonſtrant par lieux de Rhetoricque les miſeres de ce monde, le bien & l’heur de l’aultre vie, affermant les plus heureux eſtre les treſpaſſez, que les viuans en ceſte vallee de miſere, & à vn chaſcun d’eulx promettant eriger vn beau cenotaphe[* 1], & ſepulchre honoraire au plus hault du mont Cenis, à ſon retour de Lanternoys : leurs optant ce néant moins, en cas que viure encores entre les humains ne leurs faſchat, & noyer ainſi ne leur vint à propous, bonne aduenture, & rencontre de quelque Baleine, laquelle au tiers iour ſubſequent les rendiſt ſains & ſaulues en quelque pays de ſatin, à l’exemple de Ionas. La nauf vuidee du marchant & des moutons, Reſte il icy (diſt Panurge) vlle ame moutonniere[* 2] ? Où ſont ceulx de Thibault l’aignelet ? Et ceulx de Regnauld belin[1], qui dorment quand les aultres paiſſent ? Ie n’y ſçay rien. C’eſt vn tour de vieille guerre[2]. Que t’en ſemble frere Ian ? Tout bien de vous (reſpondit frere Ian). Ie n’ay rien trouué maulzois ſi non qu’il me ſemble que ainſi comme iadis on ſouloyt en guerre au iour de bataille, ou

  1. Cenotaphe. tombeau vuide : onquel n’eſt le corps de celuy pour l’honneur & memoire duquel il eſt erigé. Ailleurs eſt dict Sepulchre honoraire, & ainſi le nomme Suetone
  2. Ame moutonniere. mouton viuant & animé
  1. Thibault l’aignelet ?… Regnauld belin. Le premier est le berger de la farce de Pathelin ; le second est, suivant les commentateurs, le Regnault de la chanson citée par Rabelais, t. I, p. 152, l. dernière ; mais cette conjecture est fort douteuse.
  2. Tour de vieille guerre.

    C’eſt tour de vieille guerre.