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LIVRE DEUXIÈME
Pantagruel, roi des Dipsodes, restitué à
son naturel, avec ses faits et prouesses
épouvantables, composés par feu M. Alcofribas,
abstracteur de quinte essence.

DE LA NATIVITÉ DU TRÈS REDOUTÉ PANTAGRUEL.


Gargantua, en son âge de quatre cents quatre-vingts quarante et quatre ans, engendra son fils Pantagruel de sa femme nommée Badebec, fille du roi des Amaurotes, en Utopie, laquelle mourut du mal d’enfant, car il était si merveilleusement grand et si lourd qu’il ne put venir à lumière sans ainsi suffoquer sa mère. Mais pour entendre pleinement la cause et raison de son nom, qui lui fut baillé en baptême, vous noterez qu’en icelle année fut sécheresse tant grande en tout le pays d’Afrique que passèrent xxxvj mois, trois semaines, quatre jours, treize heures et quelque peu davantage sans pluie, avec chaleur de soleil si véhémente que toute la terre en était aride.

Et ne fut au temps d’Hélie plus échauffée que pour lors, car il n’était arbre sur terre qui eût ni feuille ni fleur. Les herbes étaient sans verdure, les rivières taries, les fontaines à sec, les pauvres poissons délaissés de leurs propres éléments, vaguants et criants par la terre horriblement, les oiseaux tombants de l’air par faute de rosée, les loups, les renards, cerfs, sangliers, daims, lièvres, connils[1], belettes, fouines, blaireaux et autres bêtes, l’on trouvait par les champs mortes, la gueule bée.

  1. Lapins.