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par l’Angleterre, plus qu’une colonie, plus qu’un assemblage de comptoirs. C’était tout un petit monde indépendant, un pays ayant sa capitale, sa société, sa culture propre, ses marins, ses ingénieurs, ses savants, ses littérateurs, et pouvant à la rigueur se suffire à lui-même. C’est ce qui explique l’étonnante vitalité que l’esprit français a montrée dans ce pays sous la domination anglaise, en dépit de la suspension, prolongée pendant tout un siècle, de presque tous les rapports entre le Canada et la France.

Ajoutons, pour expliquer la persistance de cet esprit, que les Anglais n’ont jamais su, soit orgueil et raideur naturels, soit maladresse, s’assimiler les races vaincues. Pas plus au Canada qu’en Irlande, pas plus chez les créoles de l’île Maurice que chez les Boers du cap de Bonne-Espérance, les Anglais n’ont su arriver à se rattacher, en gagnant leur cœur, les hommes de race et de langue différentes, comme les Français l’ont fait, par exemple, pour les habitants de l’Alsace, du Roussillon et de la Corse. L’Anglo-Saxon peut conquérir par la force et maintenir par l’autorité ses conquêtes ; quant à se mêler, à s’unir aux peuples conquis ; quant à leur faire oublier par la politesse et par les égards les procédés plus ou moins violents de la conquête ; quant à ganter de velours sa main de fer, pour la faire paraître plus légère, il semble que nos excellents voisins britanniques ne s’en soient jamais avisés ou n’aient pu du moins jamais y plier leur caractère. Aussi suffirait-il d’un revers de fortune pour que la plupart de leurs colonies leur échappassent, et que leur immense empire colonial se disloquât en cinq ou six tronçons, dont