Page:Rétif de La Bretonne - L’Anti-Justine ou les délices de l’amour, 1864.djvu/85

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 67 —

que c’était vous qu’il avait livrée ; le moine, qui venait d’être frotté de mercure et dont la langue enflait, a fait signe qu’il n’en croyait rien !… Le chirurgien a tiré Vitnègre à part : « Avez-vous quelque affaire à régler avec ce scélérat ? Il n’a pas deux heures à vivre à la manière dont enfle sa langue. Il a une vérole si terrible, que j’ai été obligé de le frotter au triple des autres que voilà dans leur lit et qui commencent à saliver. Je le connais, c’est un monstre à ôter du monde ; et tout à l’heure il ne pourra plus parler. — Empêchez qu’il écrive !… — Oh ! ne craignez rien, l’enflure lui gagne les yeux, il n’y voit plus et la langue commence à lui sortir de la bouche. (Lui tâtant les pouls.) Il souffre comme un damné et il n’a pas une demi-heure à vivre. »

« Alors Vitnègre enhardi a dit au moine : « Gueux infâme, c’est la putain Connillette que je t’ai donnée, que tu as fait manger à tes moines et dont tu as dévoré la matrice véroleuse. » Le moine s’est soulevé et a lancé à Vitnègre un si vigoureux coup de poing qu’il l’aurait tué, si la colonne du lit n’avait amorti le coup, et qui cependant a renversé Vitnègre. On l’a fait sortir, mais il a appris ce matin par le chirurgien que la langue du moine, devenue grosse comme celle d’un bœuf, l’avait étouffé un quart-d’heure après. On a brûlé ce qu’il avait écrit durant sa maladie.

» Voilà ce que Vitnègre tranquillisé vient de me raconter. Il est tard, je ne saurais vous reconduire : partez, ma belle amie. »

Tel fut le récit de Timon fait à ma fille, que j’entendis tout entier et qu’elle me répéta. Elle s’en revint,