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la faire enterrer. Et après lui avoir recommandé de bien effacer au grand jour toutes les traces du sang, il sortit vers les trois heures du matin, emportant son saladier de chair humaine. Vitnègre pleura d’abord, mais nous ayant entendus remuer pour sortir, le lâche eut une frayeur si grande, qu’il alla s’enclore dans son petit cabinet.

Nous sortîmes donc tout à notre aise ; comme nous traversions la petite cour, nous entendîmes les voisins qui disaient fort bas : « Il ne l’a pas tuée, voilà qu’on l’emmène. » Nous nous mîmes à fuir par de petites rues dès que nous fûmes dehors, de peur d’être suivis, et bien à propos ; nous entendîmes courir, mais on ne prenait pas notre chemin. Je ramenai ma fille à sa pension, laissant là Timon pour observer et lui promettant de revenir dans une demi-heure.

« Voilà donc, me dit-elle, quel serait mon sort à présent, si en vous accordant mes faveurs je n’avais pas reculé votre départ… Ô mon cher papa, tout mon corps est à vous pour en faire ce que vous voudrez. » Je lui demandai sa bouche, elle me darda sa langue, et nous arrivâmes. Je lui dis de se coucher. « Non, non, et mes malles, mes bijoux, si nous pouvions les avoir ?… »

J’admirai sa présence d’esprit ; il était près de cinq heures ; je courus rejoindre Timon, qui se promenait devant la porte. « Rien encore », me dit-il ; un instant après nous vîmes sortir Vitnègre : Timon le suivit et j’allai chercher ma fille, sa présence nous étant devenue nécessaire ; d’officieux voisins nous arrêtèrent ; à mon retour avec ma fille et deux crocheteurs, je