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LA DOUBLE MAÎTRESSE

personne une sorte de gravité charmante et comique. Il restait bien épars dans ses yeux une sorte d’air de gaîté prête à sourire, mais elle lui cherchait en vain dans les yeux des autres un appui et un acquiescement et, quand elle rencontrait le regard austère de sa tante, son avance finissait en une demi-moue, charmante et penaude à la fois, de sa lèvre charnue et rouge, avec je ne sais quoi de déconcerté où il entrait de la déception et un rien de malice, comme un parti pris, puisqu’on n’en voulait pas, de jouir pour elle-même de son sourire.

Si l’on ne savait pas tirer parti d’elle, elle, par contre, savait du moins tirer parti de tout avec une habileté naïve.

Elle trouvait aux objets et aux gens qui l’entouraient mille façons de s’en amuser. Les enfants s’inventent de tout des événements particuliers. Les cailloux, les herbes, les circuits des allées, la forme des parterres, les meubles, les ustensiles lui servaient à des plaisirs spéciaux où le temps qu’il faisait avait sa part non moins que d’autres circonstances mystérieuses et senties d’elle seule.

Le peu de personnes qui, à Pont-aux-Belles, composaient le spectacle journalier de la vie, lui devinrent familières, et elle porta à leur connaissance une finesse native. Si, forcément, le caractère général de Mme de Galandot, par exemple, échappait à son raisonnement d’enfant, elle avait acquis, par instinct et par usage, une prévoyance si exacte de sa physionomie qu’elle y lisait d’avance les précautions à prendre pour déjouer l’irritation