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LA DOUBLE MAÎTRESSE

fois même le noble attelage qui les menait si majestueusement, elle et son mari, en leur bon carrosse à quatre roues, s’était emporté un jour sur la route de Saint-Jean-la-Vigne et, après une course furieuse à travers champs, les avait versés bel et bien en pleine luzerne, feu M. le comte tombé sur le nez et elle, en tous ses atours, étendue sur le dos, les jambes en l’air. Cet exemple lui servit d’argument à communiquer au jeune Nicolas une aversion circonspecte du manège et de ses conséquences.

Lui ayant ainsi coupé toutes les issues, elle le tenait tout entier tout à elle. En cela, elle avait peut-être calculé plus fortement que justement, car il faut des passions pour en nourrir sa solitude, soit l’occupation à de grandes choses intérieures, soit un intérêt violent à de petites qui nous entourent. Or Nicolas de Galandot avait plutôt des habitudes. C’étaient elles qui constituaient la matière usuelle de ses pensées et la raison commune de ses actes ; leur ensemble parfaitement ordonné et rigoureusement accompli lui composait une vie égale et circulaire d’où il ne tentait aucunement de sortir.

Nicolas de Galandot était vraiment dépourvu de tout excès intime. Il n’éprouvait aucun de ces mouvements sourds qui portent parfois à de brusques écarts dont la surprise déconcerte. Sa religion même n’allait point en sursauts et en profondeur, et son souci de Dieu se contentait de pratiques apprises qu’il accomplissait ponctuellement sans y rien ajouter et sans en rien retrancher. Son existence semblait circonscrite d’avance, comme